COLD FEAR

Plate-forme PlayStation 2 (PAL)
Genre Survival-Horror
Editeur Ubisoft
Développeur Darkworks
Date de sortie 4 mars 2005 (Europe)
Texte 17528 caractères
Captures 15

 

 

 

 

 

 

 

 

Cold Fear est la dernière production de Darkworks, le studio de développement français à l’origine de Alone in the Dark 4, dernière itération de la franchise réalisée pour le compte d’Infogrames. Le prochain Alone in the Dark étant confié à Eden Studio, Darkworks s’est remis au travail dans le but de créer une nouvelle franchise, toujours scénarisée par Antoine Vilette, le directeur du studio. Prévu depuis plusieurs années, le projet Cold Fear a connus une genèse assez délicate avant qu’un deal d’édition soit signé avec Ubisoft. Cold Fear est donc une affaire désormais française, alors que des négociations étaient tournées un moment vers le Japon.

Depuis un certain temps, certains studios viennent concurrencer les développeurs japonais sur le terrain du survival-horror. Alone in the Dark 4 avait réhabilité la vieille série française, à l’origine du genre (en compagnie de Sweet Home de Capcom sur NES), un des rares noms survivant de ce qu’on appelait la « French Touch » à l’époque. Plus proche de nous, le récent studio de Hydravision dans le nord avait réalisé Obscure, qui a obtenu un certain succès malgré une critique plutôt moyenne. Toujours est-il que les développeurs français s’inspirent des mastodontes japonais et tentent de percer dans un genre où Capcom (Resident Evil), Konami (Silent Hill) et Tecmo (Project Zero) règnent en maître.

La question que l’on peut se poser est donc de savoir si les développeurs peuvent rivaliser avec les meilleures productions japonaises dans le genre. Cold Fear apporte certains éléments de réponse à cette question, en louchant sans vergogne du côté de Resident Evil en reprenant même certains éléments de Resident Evil 4, disponibles depuis quelques mois au Japon et qui sort deux semaines après Cold Fear en France. Autant dire qu'il faut avoir de sérieux arguments pour prétendre rivaliser avec l'un des meilleurs jeux de l'année.

Un bateau sur l'eau...
Pour aborder cette critique de Cold Fear, j’ai opté pour la forme d’un « Post-Mortem » mais du point de vue d’un joueur, afin de mettre en lumière les points qui fonctionnent bien dans Cold Fear, et ceux qui marchent moins bien. Mais avant tout, un peu récapitulatif du contexte s’impose : Cold Fear vous met aux commandes de Hansen, un garde côte qui se retrouve impliqué dans une histoire bien louche. Les services spéciaux viennent de partir à l’assaut d’un paquebot et se font rapidement décimés. Hansen est chargé d’aller examiner la situation sur le bateau. Le contexte de Cold Fear est donc résolument marin. Ce choix n’est pas innocent car l’eau constitue une barrière naturelle qui isole les protagonistes sur leur bateau. On se souvient de Septemtrion / SOS sur Super NES qui jouait déjà sur cette corde, dans un remake du Titanic. Cold Fear est à la croisée des chemins, 90% de survival-horror et 10% de jeu catastrophe, un genre de jeu qui compte toujours très peu de représentants (Septemtrion et The Firemen sur SNES ou SOS Final Escape sur PlayStation).

Cod Fear est une tentative de mixer survival-horror et action, avec un système de visée et de déplacement qui le rapproche parfois d’un FPS. En tout honnêteté, il ne parvient pas à atteindre ses ambitions de la manière la plus irréprochable qui soit. Pourtant, il parvient néanmoins à s’en sortir honorablement et offre un challenge nettement plus intéressant qu’un Obscure. Mais les japonais sont encore bien loin et c’est avec impartialité qu’il faut juger Cold Fear, afin d’offrir un retour digne de ce nom à des développeurs qui le méritent. C'est pour cette raison que cette critique en deux parties va se focaliser sur les éléments qui marchent et ceux qui ne marchent pas, dans cette petite (mais intéressante) production de Darkworks.

What went right
Le premier point sur lequel Cold Fear assure comme il se doit, c’est l’ambiance et l’application des recettes « classiques » du survival-horror. Cold Fear joue bien sur la surprise, à la manière d’un Resident Evil. On retrouve énormément d’éléments qui contribuent à créer la surprise : lumières qui s’éteignent, monstres qui surgissent de nulle part et mise en scène de l’horreur. Cold Fear s’en sort avec les honneurs à ce niveau. Pourtant, la violence excessive ne parvient pas à créer une ambiance aussi forte que celle d’un Resident Evil (et encore moins retranscrire l’horreur psychologique d’un Silent Hill), mais je reviendrais plus tard sur ce point. Attention, si Cold Fear est une réussite en matière d’ambiance, il ne faut pas y voir un quelconque coup de génie, même si l’on sent la reflexion sur le genre derrière, la plupart des séquences sont des copiés / collés directement sorti des autres hits du genre. Dans un sens, cela fonctionne bien, mais le vieux routard du survival-horror qui a plié les autres titres du genre ne pourra s’empêcher de regrette une mise en scène et une orientation plus personnelle. Quand Silent Hill est sorti, Akira Yamaoka et son équipe ont cherché une approche de l’horreur qui leur est propre et ils ont réussis à créer l’horreur psychologique et un jeu vraiment malsain. Quand Tecmo s’est attaqué au genre avec l’excellent Project Zero, ils ont également trouvé une recette propre, en s’inspirant de l’horreur japonais, magnifiée par le film « Ring », exploitant au maximum la peur de l’invisible, la peur de ce que l’on ne voit pas, qui devient encore plus puissante que l’horreur visible. Et quand on cherche la reflexion personnelle de Darkworks sur le sujet, on tombe immanquablement sur une simple tentative de clonage de Resident Evil, avec quelques "features" intéressantes mais qui ne peuvent masquer la grande inspiration. A la limite, j’ai conservé cet aspect dans les points positifs car copie ou non, cela fonctionne bien, et le contexte du bateau est aussi intéressant que bien exploité. Même si l’on parvient souvent à anticiper certaines apparitions, c’est du très bon boulot de ce côté-là. Le seul petit regret est que Cold Fear n’a pas ouvert une nouvelle voie dans le genre, alors que tout le monde ou presque chercher à innover dans le domaine (un dernier petit renvoi à Forbidden Siren de Sony).

L’autre point qui fonctionne particulièrement bien, ce sont les interactions avec le décor et plus généralement, les stratégies pour vaincre plus facilement et conserver ses munitions. Le passage de la passerelle que l’on peut reculer pour faire tomber un monstre coriace dans le vide était vraiment bon. Cela fonctionne très bien, même si c’est parfois indiqué limite avec une flèche (comprenez « très peu subtil »). Ca fait toujours son petit effet, et puis cela fait du bien de changer un peu d’inspiration et de loucher du côté de Metal Gear Solid 2 (Tanker, mon amour). Les extincteurs explosifs, les valves qui projettent des flammes et les barils sont vraiment bien exploités. Encore une fois, même si cela fait très Resident Evil, ce point fonctionne bien et l’on se plait à économiser des munitions. Par contre, il vaut mieux ne pas avoir joué à Resident Evil 4, sinon le côté cheap et sans envergure de Cold Fear saute aux yeux. Resident Evil 4 est vraiment plus solide, plus impressionnant et plus jouissif. Il suffit de prendre un fusil à pompe et de tirer dans les deux titres pour comprendre le gouffre qui sépare les deux jeux (les moyens sont également d'une nature bien différente).

Au chapitre des petites idées marrantes : les coups critiques et les possibilités de se dégager qui sentent Resident Evil 4 à plein nez mais qui font quand même leur effet. Ces passages offrent de bonnes petites mises en scènes pour récompenser, en plus de l’économie des munitions. Enfin, le contexte marin est bien exploité, ça tangue tout le temps, il pleut constamment, l’ambiance visuelle est bonne, même si l’abus de blur a parfois à rendre malade (comme le vieux GTA 3 sur PS2). C’est encore plus réussi avec les vagues qui s’écrasent et font des dégâts. Cold Fear brille par une bonne utilisation du contexte et du thème pour le lier au gameplay. L’ambiance est bien présente et c'est déjà une belle réussite à ce niveau.

What went wrong
La solution envisagée relative au point de sauvegarde n’est vraiment pas la bonne. Si cela contribue à augmenter la tension, cela crée une réelle frustration pour le joueur qui a le droit à un peu de repos en cours de jeu. Le fait de ne pas savoir quand l’on peut sauvegarder est sûrement la plus grosse erreur dans le design de Cold Fear. La solution de Resident Evil, les sauvegardes limitées était nettement plus effective car le joueur avait un choix constant de continuer plus loin en prenant des risques ou de faire des arrêts pour sauvegarder. Ici, le joueur est contraint d'attendre le point de sauvegarde et se sent donc bien trop tributaire des concepteurs. Le problème vient du fait que les points de sauvegarde sont parfois très espacés et que la marche à suivre n'est pas forcément évidente, deux erreurs que ne commet pas un certain Resident Evil 4 où tout est toujours très clair. Dans Cold Fear, l’effet n’est pas aussi dramatique qu’on pourrait l’imaginer car cela permet de s’améliorer à certains passages. Néanmoins, cela reste une option vraiment frustrante pour le joueur. Il manque au minimum un système de check plus régulier dans certaines salles, même s’il faut attendre une sauvegarde définitive plus tard. En résumé, ce système ne fonctionne pas et reste le plus gros défaut du titre. Evidemment, on peut rajouter l’histoire des loadings qui cassent vraiment l’ambiance, notamment après une cinématique temps réel où l’on s’apprête à enchaîner avec une phase de gameplay.

Trop d’action nuit à l’ambiance et à la tension. Le problème est que dans un Resident Evil 4, l’environnement ouvert joue beaucoup et contribue à l’ambiance oppressante. Cold Fear s’apparente plus à un Resident Evil classique auquel on aurait ajouté le système de visée de Resident Evil 4, en supprimant les limitations de ce dernier (strafes et déplacements autorisés en mode visée). Le choix de Capcom de restreindre le gameplay n'était pas du tout anodin. La restriction provoquait un gameplay basé sur l'attente, les temps de tir et de recharge des armes. Dans Cold Fear, le gameplay est finalement plus mou, on passe son temps à se déplacer en mode visée ce qui ne crée aucune tension, car il n'y a pas de transition entre la position de déplacement et la position de tir. Voilà l'exemple typique d'une restriction qui enrichissait un gameplay. De plus, les phases de tirs purs sont malvenues car elles créent un trop grand décalage entre phase d’exploration et phase de tir. On a l’impression de se retrouver tout à coup dans un FPS, alors que le contrôle et l’ambiance ne s’y prêtent pas. Il est vraiment dangereux d’offrir des armes de distance aux ennemis car la tension d’un survival-horror vient de l’approche des monstres. Le joueur a son périmètre de survie et la tension vient surtout quand un ennemi s’approche progressivement de ce périmètre.

Le contrôle manque de précision dans l’ensemble. Certaines séquences sont très malvenues, comme les affrontements dans des escaliers car il devient vraiment pénible de viser. Le simple fait s’achever les ennemis devient un calvaire et il arrive que le personnage soit devant la caméra, en plongée, alors que les monstres sont plus bas. Dans de telles situations, comme sur le bateau, on n’y voit plus rien. Les situations de combat dans les escaliers doivent, à mon sens, être proscrites. Par ailleurs, il est dans certaines normes que l’on peut demander un temps mort pour les changements d’armes. Cela devient nécessaire quand le nombre d’arme approche des dix et que l’on jongle péniblement… On peut ajouter à cela la distance de toucher des monstres assez fantasmagorique, puisqu’on peut se faire toucher après avoir reculé de trois bons mètres pendant l’animation de frappe.

La manière d’emmener systématiquement les indices au joueur par les monologues n’est pas très subtile. Par ailleurs, le scénario comme les dialogues sont plus du niveau d’un film de série B que d’un Hitchcock. Ca sent le Resident Evil du pauvre à quarante kilomètres à la ronde. Le scénario est quasiment le même, sauf que Resident Evil est une saga qui se déroule sur de nombreux épisodes et qui s’est largement enrichit au fil des épisodes. Cold Fear fait plus penser à un one-shot, et le scénario n’est clairement pas à la hauteur. Je ne parle même pas des scénarios des Silent Hill pour ne pas être trop indécent. La résolution de Cold Fear fait parti des fins les plus expédiées que j’ai pu voir, presque à armes égales avec Soul Reaver. Et là, quand je repense à Silent Hill 2, je me dis que c’est le drame. Le recours à de vrais scénaristes commence à se faire urgent… Un MGS 3 enterre tout ça dix pieds sous terre. Même Project Zero, Eternal Darkness ou Resident Evil s’en sortent bien mieux. Certains dialogues sont absolument lamentables, l’acting des personnages est épouvantable…

Certaines séquences sont complètement incohérentes, comme la rencontre avec Anna. J’ai essayé, en bon gentleman, de lui tirer une balle dans la tête pour « voir ce que ça fait » et je l’ai tué à ma surprise. Toujours plus surprenant, je me suis immédiatement fait attaqué par un ennemi invisible sorti de nulle part (la salle était vide et fermée) qui a eu ma peau. Effectivement, comme la chère demoiselle me l’a précisé, je n’ai pas le choix… Ce n’est pas demain la veille que je retrouverais les choix qui ont attisé ma passion pour Silent Hill 2…

L’absence d’inventaire est également dommage. Si ce choix est compréhensible pour renforcer la présence de l’action, cela n’est pas sans poser problème au niveau de la progression. Dans un survival horror classique, le fait de posséder un inventaire génère un sentiment de progression et de survie à long terme. Chaque objet gagné agrandit les chances de venir à bout du jeu et donc, le joueur prend la peine d’explorer les moindres recoins et les concepteurs récompenses la diligence du joueur. Dans Cold Fear, tout se passe à l’instant immédiat, au présent. Le sentiment de survie est atténué car le joueur est focalisé sur le présent uniquement, à la rigueur le futur proche. Il n’y a plus l’impression de devoir gérer ses ressources à long terme. C’est un manque crucial dans un jeu de survie.

Enfin, les petites erreurs de conception sont légion. Qui dit aller-retour dit repérage du joueur et donc plan. Or, il n’y a pas de plan dans Cold Fear, celui-ci était généreusement fournit dans la notice. Question à deux roubles, combien de joueurs vont faire l’effort d’aller la chercher dans la notice ? Ne serait-il pas plus confortable d’avoir une carte in-game ? C’est d’autant plus vrai que l’on a parfois du mal à cerner où il faut aller exactement, les textes des objectifs n’étant pas tous parfaitement explicites.

Les cadavres des monstres qui disparaissent trop vite : une frustration pour le joueur qui aurait pu recevoir des munitions et qui les voit s'évanouir devant ses yeux sans autre forme de procès. Il m’est déjà arrivé de lancer la commande contextuelle de ramasser un objet et que le cadavre et l’objet disparaissent dans l’instant… A l’inverse, les états de certains monstres sont conservés tout au long du jeu (bon point).

La résistance, gérée telle qu’elle, est inutile et ne fait qu’alourdir les déplacements. Elle n’est clairement pas nécessaire la plupart du temps. Dans certains jeux comme Metal Gear Solid 3, cette fonction a de nombreux impacts sur le gameplay alors qu’elle est trop accessoire dans Cold Fear. Si c’est juste pour éviter le « Always Run », ce n’est pas suffisant pour justifier son existence. Par ailleurs, elle remonte de la même manière que le personnage soit à l’arrêt ou en déplacement normal. Mon avis est que l’idée n’est pas assez bien exploitée.

A propos de l’ambiance sonore, les musiques sont sourdes, ou trop violentes. Même pour illustrer l’action, cela crée immédiatement un décalage peu harmonieux. Ca me rappelle un certain POP Warrior Within avec la musique de combat ultra répétitive et lourdingue. Je préfère nettement les petites compositions d’un Resident Evil qui se fondent complètement dans le décor et dans l’ambiance.

Conclusion
En gros, Cold Fear est bien sympathique, plutôt bien fait et mérite une place dans le petit monde du survival-horror. Mais une toute petite place, car la majorité des titres du genre lui sont supérieurs et il accumule énormément de maladresses qui auraient pu et auraient du être évitées. Le petit mot méchant de la fin, c’est que Cold Fear a parfois des allures de Resident Evil 4 du pauvre… C’est le problème quand on s’inspire d’un titre de ce calibre. Il est aussi parfois le cul entre deux chaises, entre tradition et modernité alors que le dernier Capcom a fait table rase du passé (qu’il avait lui-même réhabilité). Malgré le bien que je pense de Cold Fear, le niveau de Resident Evil est encore assez loin (et je ne parle même pas du volet 4 de cette série qui est d'une qualité époustouflante). Cold Fear n'est pas mauvais mais reste encore largement perfectible, malgré son énorme délai de production. J’espérais un peu plus, étant donné l’expérience que Darkworks a dans le domaine (Alone in the Dark 4 était honorable) et la durée du développement. Un poil deçu mais le résultat mérite quand même un coup d’œil sérieux et s’apprécie sûrement plus quand on n’a pas une dizaine de survival horror récents dans les pattes. Car le problème de Cold Fear c'est qu'il n'est pas vraiment au niveau de la concurrence et qu'à 60 euros, le joueur se paye les références, pas les seconds couteaux. La bonne volonté ne suffit pas pour faire un titre de grande qualité.

Yan Fanel, mars 2005

Les points forts
Les points faibles
- Le contexte et son exploitation judicieuse
- Le contrôle imprécis
- Les interactions avec l'environnement
- La gestion des sauvegardes scandaleuse
- Une construction qui se tient
- Les innombrables petites lacunes
  - Les dialogues et le scénario lamentables