METAL GEAR SOLID 3 Snake Eater

Plate-forme PlayStation 2 (US)
Genre Aventure / Infiltration
Editeur Konami
Développeur Konami (KCEJ)
Date de sortie 17 novembre 2004 (US)
Texte 34607 caractères
Captures 15

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cela fait plus de quinze longues années que Konami explore le genre infiltration, sous la remarquable direction de Hideo Kojima, qui endosse le rôle de game designer / scénariste / directeur à chaque épisode de Metal Gear. La popularité de la série s’est considérablement accrue depuis l’épisode Metal Gear Solid sur PlayStation première du nom en 1998. Pourtant, les connaisseurs de la saga qui suivent Snake (Solid Snake en réalité) depuis des années se souviennent des deux épisodes sur NES (Metal Gear et l’anecdotique voire pathétique Snake’s Revenge), des deux épisodes sur MSX dont la véritable suite de Metal Gear, Metal Gear 2 Solid Snake. On peut rajouter un épisode sorti tardivement sur Gameboy Color, Metal Gear : Ghost Babel qui n'entre pas vraiment dans la chronologie officielle, simplement distribué hors du Japon sous le nom de Metal Gear Solid. Les prémices du genre infiltration, la confrontation avec le Metal Gear ou les communications par radio étaient déjà présents depuis les plus vieux épisodes. Ce qui a changé, depuis la version PlayStation, c’est le côté hollywoodien et démesuré de la série, alors que le game design n'a cessé de s'affiner au fil des épisodes, avec des choix parfois trop tournés vers la narration. En quelques années, la série s’est retrouvée propulsée au rang des plus grands hits du jeu vidéo et chaque épisode est devenu à la fois un standard ludique et une référence technique.

Metal Gear Solid était ce que l’on peut appeler une véritable référence, tant ses idées étaient ingénieuses et son sens du détail profondément riche. A l’époque, le genre infiltration n'en était qu'à ces balbutiements, peu de titres exploitaient ce concept. MGS a changé la donne, tout en gardant le côté personnel de l’œuvre de Hideo Kojima à travers un scénario à thématique scientifique. Après un épisode fortement polémiqué pour son scénario mais acclamé pour sa réalisation et son gameplay, Hideo Kojima a montré qu’il pouvait surprendre (même en mal) et a prouvé que malgré le statut sacré de blockbuster de la série, il garde la main ferme et le contrôle de son oeuvre. Metal Gear Solid 2 tentait d'ouvrir des portes aux jeux vidéo, se voulait une analyse critique de nos sociétés contemporaines, à cheval entre la philosophie et la sociologie qui s'entremêlaient dans un scénario maîtrisé et surprenant, mais terriblement mal rythmé. Une tentative certes louable, mais qui n'a pas vraiment convaincu les aficionados de la série qui n'en demandaient pas tant... Dans un sens, Metal Gear Solid 2 marquait une sorte d'intellectualisation du jeu vidéo: un auteur tentait de faire passer ses opinions, sa critique sociale par le biais d'un média qui se veut avant tout un simple divertissement. Un volet au scénario remarquablement construit, comme le premier d'ailleurs, mais qui cherchait à pousser plus loin la reflexion sur les fondements de notre société. Etait-ce bien nécessaire ?

Le volet trois était particulièrement attendu pour son changement d’environnement radical. Les premiers écrans nous montraient un Snake perdu en pleine jungle, l'importance était mise sur l'utilisation de son environnement et sur le fait de se nourrir en chassant des animaux. Depuis la concurrence s’est installée, notamment par l’intermédiaire de Splinter Cell, le hit d’Ubisoft, dont les deux épisodes ont dépassé le million d'exemplaires vendus. La série MGS a pris un petit coup de vieux au niveau du gameplay et de la réalisation. Malgré tout Splinter Cell n’a pas et n’aura probablement jamais l’aura de MGS, car si Splinter Cell est une série au gameplay solide avec une superbe réalisation, elle ne bénéficie pas du regard de Hideo Kojima, qui rend son titre unique à plus d’un aspect avec un souçi du détail peu commun. Il était temps de voir si Kojima pouvait aller plus loin encore et la sortie de MGS3, dont la primeur a été offerte au public américain, met fin à cette anxieuse attente. Si MGS 2 était l’un des premiers gros titres de la PS2, le marché est bien différent aujourd’hui, avec des hits en pagailles et trois machines au mieux de leurs formes. Pour ces raisons, l'attente de ce volet n'était pas comparable avec celle du précédent et le déluge de blockbuster de Noël a transformé l'événement en anecdote... Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette "anecdote" est finalement la consécration d'une série majeur du jeu vidéo.

Bouillon de gameplay
Si vous avez suivi un minimum les trailers (les fameux trailers « à la Kojima » qui se font un plaisir de nous induire en erreur), vous savez que le jeu se déroule en 1964, durant la guerre froide. Bien entendu, notre Solid Snake bien aimé n’était pas encore né. L’histoire de MGS 3 est celle de plusieurs personnages particulièrement importants pour les volets à venir, une sorte de genèse censée revenir sur des points cruciaux du scénario, avec éventuellement à la clé, un début de résolution du mystère des « Patriots », qui a tant déboussolé les joueurs au terme de MGS 2. C’est aux commandes de celui qui était appelé « Big Boss » dans les épisodes précédents que le joueur participe à cette aventure. Ce même Big Boss que l'on affronte à la fin de Metal Gear 1 et 2 et dont la dépouille est recherché par le groupe Fox Hound dans Metal Gear Solid. Un personnage légendaire dont Solid, Liquid et Solidus sont les descendants, par le biais du fameux projet « les enfants terribles » auquel il est fait référence dans les deux volets précédents. Le contexte se déroule en pleine guerre froide, marquée par les rivalités entre le bloc capitaliste et le bloc communiste. Le Snake original se retrouve engagé dans un conflit politique qui l’amène directement au cœur de la jungle russe, à la frontière du Pakistan, pour effectuer la « Virtuous Mission » (et non pas « Virtual Mission », cinglante référence à l’épisode précédent). L’univers change donc radicalement, il n’est plus question d’infiltrer une base (Outer Heaven, Shadow Moses) ou une station (Big Shell). Snake doit se mouvoir en pleine jungle, apprendre à y combattre et à survivre. Fort heureusement, Konami a sérieusement revu sa copie en matière de gameplay pour tirer profit de cet environnement si particulier.

Tout d’abord, Snake peut désormais chasser les animaux pour se procurer de la nourriture. Loin d’être un simple accessoire, la chasse est vitale pour l’aventure dans la mesure ou malgré sa constitution impressionnante, Snake s’épuise en réalisant certaines actions. La barre de « Stamina » est essentielle car Snake a besoin d’énergie pour effectuer ses mouvements. Il est très important de se procurer de la nourriture dans la jungle pour recouvrer ses forces. Cette idée de survie est remarquablement bien intégrée au jeu et colle parfaitement avec l’idée de survie que l’on peut se faire dans une jungle hostile. Les serpents, crocodiles et autres sont monnaie courante, et il vaut mieux être particulièrement prudent dans son avancée. La recherche de nourriture est primordiale, mais heureusement, elle ne demeure pas trop contraignante : Snake est un gaillard bien solide à la base, la nourriture est trouvable en grande quantité et le stockage est suffisamment large pour ne pas transformer le gameplay en calvaire. Concrètement, les différents types de nourriture n’ont pas le même goût et peuvent parfois produire des effets inattendues, comme des maux d’estomac. Il va falloir expérimenter et chercher la nourriture la plus effective. L’aspect chasse est cependant très simple, il suffit de tuer un animal pour qu’il se transforme en ration. Quelques scènes, plutôt virils, viennent illustrer les repas de Snake. Petite subtilité intéressante, la nourriture peut pourrir au bout de quelques jours et Snake risque d’être malade. Une manière d'intégrer une notion de temps dans le jeu, très peu exploitée mais que l'on ne manquera pas de souligner. Dans ce cas, deux solutions sont possibles: prendre une pilule digestive ou faire tourner Snake dans le Survival Viewer pour qu’il vomisse et se vide l’estomac. Konami s’est efforcé de tirer profit de la moindre subtilité du contexte pour offrir de nouvelles idées de jeu. Ce sens du détail et du gameplay est peu commun et fait la force de ce MGS 3. Un autre petit exemple, le poids que l'on porte sur soi est également géré, une distinction entre l'inventaire rapide (que l'on porte) et l'inventaire global ayant été intégrée.

Toujours au chapitre des nouveautés, Snake peut revêtir plusieurs costumes dans la jungle, afin d’accroître sa discrétion. Si cette idée rappelle l’ombre et la lumière de Splinter Cell, elle est ici bien plus développée et intéressante, tout en évitant les abus du titre d’Ubisoft. Petit rappel, dans Splinter Cell, le jeu prend en compte la position du joueur et la luminosité ambiante. Dans le noir complet, Sam Fischer est invisible, même si les gardes sont à quelques centimètres de lui, ils ne le verront pas. Dans les faits, le gameplay se résume simplement à détruire discrètement les sources de lumière pour progresser. Dans MGS 3, le joueur n’a pas la possibilité d’agir sur son environnement de cette manière, c’est lui qui doit s’y adapter ! Ce renversement donne naissance à l’utilisation de camouflage, des costumes qui sont plus ou moins visibles selon l’environnement. Par exemple, si vous devez vous déplacer dans l’herbe, les costumes verts avec les motifs adaptés vous donneront un important bonus de discrétion (représenté par un pourcentage). Snake peut sélectionner plusieurs costumes et peintures pour son visage qu’il récupère en cours de jeu. Dans les endroits avec des briques rouges, le costume adapté fera la différence. Loin d’être accessoire, le camouflage n'est ni plus ni moins que la clé de voûte de la réussite. Si vous optez pour une manière de faire discrète (une possibilité, mais elle n’est pas la seule), le camouflage est vital.

Toujours au chapitre des nouveautés de gameplay (encore plus flagrantes et novatrices qu’entre les deux volets précédents), le Close Quarter Combat ou CQC. Snake dispose d’un style de combat unique qui peut se révéler particulièrement mortel. Le CQC repose sur l’utilisation combinée d’une arme de poing et d’une arme à distance, ce qui explique la pose que prend Snake dans les cinématiques. Grâce au CQC il peut attraper les ennemis et avoir accès à différents mouvements dans cette position. L’ennemi est rendu inoffensif, même si Snake l’approche de face. A partir de cette position, Snake peut projeter l’ennemi au sol pour le mettre KO, lui trancher la gorge, le secouer, s’en servir de bouclier ou lui soutirer des informations (comme le chemin à suivre ou carrément les fréquences radio pour annuler les alarmes !). Encore une fois, la référence à Splinter Cell est évidente, puisque ce titre proposait déjà certaines de ces fonctionnalités. Pourtant, tout comme le camouflage, la version de Konami est nettement plus aboutie, plus riche et plus amusante.

Enfin dernier gros aspect du titre, le système de guérison. Dans la jungle, les hostilités sont nombreuses, Snake peut être piqué par des abeilles ou subir des blessures suite à une chute ou un coup. MGS 3 intègre différents degrés de blessure, qui rendent complètement obsolète la pauvre barre de vie des autres jeux. Chaque blessure doit être soignée d’une certaine manière, d’autant que Snake récupère tout un tas d’objets pour se guérir. Cette idée est parfaitement intégrée dans le jeu et quelques exemples aident à s’en convaincre. En marchant dans la boue, Snake peut attraper des sangsues. Le remède est de griller les sangsues en utilisant son cigare (celui qui révélait les rayons rouges de surveillance dans le passé, qui trouve ici une utilisation encore plus remarquable). Si Snake fait une chute, il risque de se fracturer une jambe, dans ce cas, il faut impérativement utiliser les soins appropriés. Chaque blessure doit être traitée à sa manière, dans la fenêtre de guérison. Encore une fois, MGS3 impressionne avec de bonnes idées de game design rendues parfaitement compréhensibles et simples à utiliser. D'ailleurs, encore une fois, MGS s'illustre par son manque total de réalisme mais parvient à ne pas frustrer le joueur en évitant un réalisme extrême qui ne serait d'aucun intérêt ludique. La balance entre le côté ludique (parfois illusoire, mais effectif) de certains mécanismes et le côté réaliste est rapidement faite: Konami essaye d'intégrer des idées amusantes en les rendant le plus accessibles possible. Il ne faut pas s'étonner d'appliquer un désinfectant après avoir bandée une blessure par exemple. Ce choix est d'une portée tellement évidente, et pourtant de nombreux joueurs risquent une fois de plus de critiquer pour ce manque de rigueur. Voilà exactement le genre de cas qui illustre la différence entre un joueur et un game designer. D'un côté, le game designer propose et inclus des idées amusent en les simplifiant fort heureusement (aucun jeu ne se hasarderait à respecter scrupuleusement la réalité pour en devenir ennuyant), d'un autre côté, les joueurs maniaques qui critiquent la simplification, en estimant que ça serait mieux d'être plus réaliste. Kojima a fait son choix, un choix ludique, un choix de game designer. Un choix tout à son honneur.

Histoire de compliquer un peu la tâche du joueur, l’équipement électronique, en plus d’être rudimentaire (oubliez vos radars Soliton et autres), est associé à une batterie. Les silencieux ou le sonar ne peuvent donc être utilisé à chaque obstacle, il faut apprendre à gérer leur utilisation. La volonté de MGS 3 de limiter les abus va dans le sens d’une augmentation de la difficulté du titre. Konami veut que le joueur se casse la tête, réfléchisse au meilleur moyen de franchir chaque écran. C'est encore une fois un choix typique de game designer, qui contraint le joueur, au risque de le frustrer, mais dont l'effet augmente la valeur de l'expérience de jeu. Si la difficulté n’avait pas été revue largement à la hausse, toutes ces idées n’auraient été qu’accessoires. Ce petit tour d’aperçu des principales nouveautés de gameplay permet de saisir la profondeur et la richesse du titre. Il y a énormément à dire sur MGS 3 et les subtilités se listent par wagons entiers, mais cela fait intégralement parti du plaisir de la découverte. Il est tout de même important de signaler que tous les choix faits dans MGS 3 vont dans le sens d'une augmentation de la difficulté radicale, qui oblige à une patience et une bonne analyse des situations.

Des choix, des choix et encore des choix...
Expédions rapidement la section technique syndicale, qui ne fait pas l'essence du jeu mais qui mérite d'être souligné. Remarquablement bien construit, MGS 3 impressionne également sur sa réalisation. L’environnement de la jungle est superbement rendue, avec des textures et une finition exemplaire à chaque écran. Aucun doute là-dessus, les environnements avec des textures minimalistes de MGS 2 sont très loin. Le souci de détail qui ponctue chaque passage n’a d’égal que le travail d’orfèvre sur le game design. Les différentes teintes sont particulièrement bien choisies, complètement en rapport avec l’environnement et un simple regard sur un passage permet d’en déterminer les composantes. La grande richesse visuelle cache bien des secrets et chaque écran est un véritable gisement de détails en tout genre.

Outre l’excellence de la modélisation des personnages comme des décors, c’est la finition de l’ensemble qui impressionne le plus. Il n’y a pas le moindre problème d’affichage, tout est très propre et pourtant très riche. Les différents passages disposent de leurs propres textures qui peuvent être exploitées avec le camouflage. Autant dire que l’environnement prend une place capitale dans le gameplay, chaque élément doit être pris en compte. Les changements de teintes dans les décors flattent les rétines et on sent bien que la PS2 crache ici toutes ses tripes. Quelques chutes de frame rate se font sentir dans les environnements particulièrement surchargés, notamment en passant en vue intérieur avec de l'eau à proximité.

Du côté du scénario, même s’il est délicat d’en parler sans trop en dire, sachez juste que le scénario est franchement excellent, loin des délires philosophiques du second épisode. Les personnages sont boen construits, c’est un véritable plaisir de jouer avec le Snake original, de retrouver Ocelot qui ne manque pas d'impressionner la galerie avec sa gestuelle si caractérisée. Les nouveaux personnages ont un charisme ravageur, d'autant qu'ils ont tous une place de choix dans le scénario. Chaque personnage est impeccablement traité, avec ses propres motivations et ses propres manières de réagir. Cela pourrait paraître banal à n'importe quel scénariste en herbe mais tellement bien fait dans ce volet (et tellement rare dans un jeu vidéo) que l'on applaudit des deux pieds. Les cinématiques constituent de savoureuses récompenses aux effets et si la structure de MGS n'a pas évolué d'un pouce (scène d'action - cinématique - scène d'action), l'envie de progresser dans le scénario est particulièrement forte.

Ce qui est amusant, c’est qu’au milieu d’un contexte particulièrement grave, on sent un côté parodique, qui tourne certaines situations en autodérision ou des références particulièrement drôles aux épisodes précédents. Comment rester de marbre devant la possibilité de passer à la première personne dans certaines cinématiques pour découvrir des détails pour le moins insolites comme les fessiers ou les poitrines des personnages féminins ? MGS 3 avance doucement vers un côté voyeur et érotique qui n’est pas sans rappeler James Bond. Après la violence exacerbée de certaines productions (GTA au hasard), MGS 3 fait doucement avancer le jeu vidéo dans sa maturité par l'intermédiaire de scènes truculentes, mais jamais vulgaire. On aurait pu crier au Fan Service si ces scènes n'étaient divinement intégrées dans le scénario et surtout en rapport avec le contexte. Un peu de fraîcheur et de piment ne fait pas de mal à l'aventure, alors que le côté voyeur que Kojima essaye de donner à son oeuvre était déjà présent dans le passé (la scène de Meryl en culotte, gros plan sur le fessier et les dizaines de poster de femmes...).

Si Kojima a toujours conservé le parti pris de raconter des histoires linéaires, les mots de Snake à la fin de MGS 2 reviennent alors en tête : "tu n'as pas eu beaucoup de choix cette fois ci". Effectivement, Kojima n'a jamais laissé le choix au joueur. Impossible d'envoyer se faire foutre les manipulateurs qui voulaient le match Raiden contre Solidus, impossible de ne pas tuer certains personnages pour lesquels on peut développer une certaine empathie... Kojima ne laisse pas le choix au joueur dans la résolution du scénario mais se rattrape sur le gameplay et se justifie par l'intermédiaire de son avatar, Snake, en disant que c'est "après" que le joueur a le choix, qu'il peut disposer à sa guise de l'expérience qui lui a été offerte. Kojima offre de singulières expériences au joueur et semble faire de l'expérience son fil conducteur, aussi bien en écrivant son scénario qu'en imaginant le gameplay. Le résultat est là, un jeu véritablement complet, très cohérent dans ses choix et résolumment différent du reste de la production vidéo ludique.

Pour en revenir au septième art, au chapitre des références, il faut savoir que la personne en charge des sauvegardes est amateur de cinéma et que de nombreux dialogues avec cette dernière vont tourner autour du cinéma. Loin d’être aussi lourd que l'insupportable remake des feux de l’amour de MGS 2 ou que les citations d'une Mei Ling, ces dialogues sont plutôt rafraîchissants et permettent à Kojima de glisser certaines réflexions sur le cinéma et le jeu vidéo, de manière nettement plus discrète, intelligente et pertinente que dans son titre précédent. Kojima a sans doute compris qu'il y avait d'autres moyens de faire passer ses opinions au joueur que par des dialogues interminables au ton moralisateur. Tous les genres de film d’époque sont passés en revue, cela donne un petit bouillon de culture tout à fait sympathique. Evidemment, James Bond aura droit à sa mention spéciale, une belle preuve que la fameuse série de film a grandement influée ce volet. Pointes d’érotisme, James Bond Girl et un second générique complètement dans la lignée d’un Bond, les références sont flagrantes et franchement amusantes.

Considérations diverses sur Metal Gear Solid 3
Comme je l’ai dit, la difficulté est d’un autre niveau. Les gardes sont particulièrement coriaces dans cet épisode et il faut faire preuve de ruses pour s’en débarrasser. Evidemment, leur comportement est encore simple et commun à tous, mais ils peuvent vraiment se révéler coriaces. La moindre alerte fait planer un grand danger sur le joueur. Le level design est particulièrement riche et les gardes sont placés clairement aux endroits les plus stratégiques. Il n’est pas rare de devoir s’y reprendre à de nombreuses reprises pour passer sans encombre. J’en viens à l’un des points principaux de MGS 3. Si les différents écrans sont difficiles, il est offert une certaine latitude au joueur pour progresser. On peut aussi bien essayer de passer en toute discrétion, en faisant le moins d’alertes possibles, que d’y aller franco avec une arme de distance. Le CQC offre également de nouvelles manières de procéder. La plupart des lieux exigent beaucoup de méthode, mais chacun peut être franchi par l’une ou l’autre façon de jouer. Il faut tout de même savoir qu'il n'y a, dans MGS3, rien de plus jouissif que de parvenir à passer sans encombre. MGS 3 est, dans ce sens, le seul véritable jeu d'infiltration, tant il est exigeant pour le joueur.

En comparaison des couloirs des volets précédents ou de Splinter Cell, MGS 3 se permet plusieurs passages avec différentes sorties et un level design plus ouvert, pour coller à la liberté d’action du joueur. A chaque écran, il y a plusieurs manières de procéder, plusieurs chemins possibles. Les nombreux détails de gameplay surprennent à chaque instant si bien qu’une fois le décor analysé, le joueur peut prévoir son action à l’avance et essayer de trouver le chemin qui lui convient le mieux. Le level design est particulièrement bon, très nettement au-dessus des volets précédents grâce aux passages dans les herbes notamment, où l’on peut ramper sans risquer d’être vu avec un bon camouflage.

La combinaison des nouveautés de gameplay exposées plus haut donne un résultat particulièrement savoureux, une portée nouvelle à une série qui commençait à avoir un gameplay un peu vieillot. Le gameplay de MGS 3 est franchement différent du second, ce qui risque de perturber sérieusement les amateurs de la série, dans un premier temps. Il n’est plus possible de courir dans le dos des gardes pour faire des « freeze », ces derniers entendent les pas avec une facilité déconcertante, sont nettement plus vifs et plus à l’écoute de ce qui se passe autour d’eux. Ils ont également tendance à se déplacer très lentement, ce qui oblige le joueur à s’armer de patience. Même s’il peut être joué de plusieurs façons, MGS 3 est plus tranquille dans son rythme, pour donner naissance à la meilleure expérience d’infiltration jamais vue dans un jeu vidéo. Alors il est clair que MGS 3 est déstabilisant, néanmoins il faut prendre son temps, s’investir dans le titre et adopter le nouveau gameplay pour s’amuser pleinement.

Au niveau de la maniabilité, il y a clairement un grand nombre de commandes et il faut un certain temps de pratique avant de pouvoir se débrouiller correctement. Tout est très accessible mais la plupart des subtilités de la jouabilité ne se maîtrisent qu’après une bonne mise en pratique. Les mouvements sont très nombreux, disposent tous d’une utilité particulière, même si les bases suffisent pour avancer. Quelques petites collisions hasardeuses peuvent être perçus lorsqu’on rampe, le fait que Snake se relève automatiquement est parfois pénalisant, surtout quand on vient d’effectuer un passage tout en finesse avec une grande patience. MGS 3 sanctionne lourdement la moindre erreur, ce qui pourra rebuter les moins patients. Clairement, l’esprit du jeu est tourné avec la patience, qui est une vertue inestimable dans ce titre.

Malgré toutes ses nouveautés, MGS 3 reste un MGS. C’est ainsi que la structure du jeu est fondamentalement la même que dans le passé. Il faut attendre pas moins d’une demi-heure avant de commencer à jouer, pour que le contexte soit complètement placé. MGS 3 va à contre courant des jeux modernes qui veulent faire rentrer le joueur directement dans l’action. Ici, le joueur a droit à son briefing complet et même si la situation est intéressante (enfin, autant intéressante qu’énorme, le rapport à la réalité étant quelque chose de très relatif dans MGS), bien des joueurs risquent une nouvelle fois de râler devant tant de blabla. Ainsi, la structure ne change pas réellement, il s’agit toujours du découpage Blabla – Phase de jeu – Cinématique qui tue / récompense et ainsi de suite. Pourtant, le joueur passe l’essentiel de son temps dans les phases de jeu cette fois, à cause de la difficulté des passages. Un retour à l’équilibre qui ne fait pas de mal, étant donné la lourdeur d’un MGS 2 dans le domaine, qui avait tendance à anéantir son rythme.

Force est de constater que si les phases de jeu sont assez jouissives, le principal moteur demeure le scénario et la découverte des événements. Une fois pris dans l’histoire, il est très difficile de s’en détacher et les superbes cinématiques en temps réel, parfaitement réalisées, viennent récompenser les efforts. Sans être aussi extravagantes que celles de Ryuhei Kitamura dans MGS The Twin Snakes, les cinématiques ont encore fait exploser les limites du compteur « too much ». Entre les situations où les protagonistes prennent la pose, les combats les plus insolites et les moulinets de Ocelot dont la durée semble interminable, le joueur est servi. C’est ici que le côté extravagant et complètement surréaliste de MGS se manifeste le plus et son auteur en est probablement fier, car elles achèvent définitivement les joueurs sceptiques qui pourraient imaginer que MGS se veut réaliste. Pour ceux qui en doutent encore, il suffit de jeter un œil aux différents boss du jeu, au moins aussi extravagants que ceux du second volet, le ridicule en moins (Fatman et Vamp, reposez en paix).

D’ailleurs, les différentes confrontations sont tout à fait mémorables et fourmillent de petites trouvailles. Autant dire que les affrontements ne se règlent pas à la légère, il faudra réfléchir et expérimenter un minimum. La plupart de ces confrontations sont impressionnantes, notamment l’équivalent d’un Psycho Mantis qui est particulièrement sympathique, mais très différent. A noter qu’il est carrément possible d’abattre certains boss en les croisant avant de les affronter ! Bien entendu, s’il est possible d’abattre Ocelot, cela ne vous conduira qu’à un "Time Paradox", comme les morts de Snake. En revanche, en faisant bien attention, il est possible d’éviter un duel particulièrement éprouvant. Ce genre de détail laisse franchement pantois et montre qu’en plus d’être particulièrement novateur, MGS 3 est aussi un énorme travail dans le détail et les possibilités offertes.

Dans les défauts qui fâchent un peu, le plus important reste probablement la vue, qui n’a pas bougé d’un iota, hormis dans certains passages. Même si la possibilité de déplacer légèrement la caméra grâce au stick droit et le fait de pouvoir la bloquer est bien trouvé, la vue constitue la principale difficulté du titre. L’impression de se battre contre le champ de vision est assez pénible, notamment lorsque l’on débute. Il est vrai qu’en regard du champ de vision d’un Splinter Cell, le joueur a toutes les raisons du monde de se sentir limité. C’est encore plus vrai dans la mesure où les gardes, de leur côté, ont un champ de vision nettement meilleur. Il en résulte un vrai décalage, les gardes sont avantagés et la difficulté du titre vient de ce fait, pas franchement équitable. Pourtant, à chaque écran, il y a moyen de passer et le plaisir d’avoir réussi une série de manœuvre à la perfection n’a pas d’équivalent. Finesse et doigté doivent faire parti des attributs d’un joueur de MGS 3 qui veut se faire un voyage discret, ce qui est finalement la manière la plus amusante d’y jouer. De toute façon, l'utilisation de la vue à la première personne permet de s'en sortir. A noter que les passages ont l'on rampe dans l'herbe, à la première personne sont particulièrement immersifs et prouvent, une fois n'est pas coutume, la puissance immersive de cette représentation.

Pourtant, le choix de maintenir la vue n'est pas anodin. Pour comprendre ce choix, il faut admettre une chose: la manière de représenter un objet n'est pas neutre. Une petite série d'exemples s'impose: pour mettre en valeur la panique et la tension d'un Resident Evil, Capcom a choisi une représentation très cinématographique, qui mettait en valeur les mouvements des personnages, le fait de voir son propre personnage à travers l'écran, mais également ce qui l'entoure. Quand Capcom a décidé de se focaliser davantage sur l'action dans Resident Evil 4, une vue plus proche a été choisi, à la troisième personne sur l'épaule mais très proche. La vue va de pair avec le choix du style de gameplay offert. La vue de Splinter Cell n'est pas neutre car elle est également agressive. En gros, une caméra n'est jamais neutre. Le gameplay de Metal Gear Solid 3 est indéniablement un gameplay basé sur la patience, sur l'observation et la recherche du chemin optimal. Mon avis est donc qu'une caméra en troisème personne à la Splinter Cell aurait complètement desservi le gameplay que Konami voulait atteindre, en l'orientant trop vers l'action. Mon petit mot sur le sujet est donc que ceux qui critiquent la représentation de MGS 3 n'ont fondamentalement pas compris l'optique du jeu. Le simple fait de changer la vue aurait eu une incidence considérable sur la manière de jouer car aucune vue n'est neutre. La représentation choisie dans MGS 3 reste cohérente par rapport à son gameplay, et c'est là un point crucial du titre. Action, mais surtout infiltration. C'est cette cohérence dans les choix qui fait de MGS 3 l'expérience d'infiltration la plus aboutie à ce jour.

Conclusion
Si vous avez eu la patience d’arriver jusqu’ici, vous devez avoir compris que MGS 3 m’a énormément enthousiasmé. Car MGS 3 m'a donné envie de m'étendre sur son sujet, de déborder, de discuter des choix... Il m'a donné envie de faire partager mes réflexions sur son sujet, alors que mes critiques ne sont souvent que mes propres mémoires, écrites par moi et pour moi. C'est également dans ce genre de cas que l'on comprends que la critique n'a pas réellement d'intérêt car malgré toute la justesse du monde ou la puissance émotive que l'on dégager des écrits, rien ne vaut l'expérience. Or, une expérience ne se vit pas par procurations, comme le démontre l'échec des "Patriots" dans leur volonté de créer un contexte. J'aurais très bien pu écrire une phrase pour exprimer ma pensée: RUEZ-VOUS SUR CE JEU ET "ENJOY THE GAME". Les jeux qui arrivent à faire ressentir sont rares, et ce sont souvent les expériences ludiques les plus puissantes (comme ICO ou Ikaruga, dans des domaines radicalement différents). Il faut saluer les expériences ludiques les plus puissantes de notre temps car elles ouvrent les portes aux jeux du futur. Elles ne sont pas simplement meilleures ou moins bonnes que d'autres expériences simplement divertissantes, mais elles font avancer le jeu vidéo. Metal Gear Solid 3 Snake Eater fait parti des jeux qui font avancer le jeu vidéo, de ces expériences uniques qui marquent leurs temps. Super Mario Bros., Tetris, Sim City, Alone in the Dark, Myst, The 7th Guest, Doom... Si Metal Gear Solid premier du nom faisait déjà parti de ces jeux phrases de l'histoire du jeu vidéo, ce volet 3 triomphe par son gameplay et montre que l'on peut renouveler l'exploit dans une suite, que l'on n'est pas condamné à la suite Add-on très à la mode ces derniers temps.

Bien qu’attendu au tournant, MGS 3 n’était pas attendu comme l’a été le volet 2, il n’avait pas l’obligation d’être un jeu génial, et puis la féroce concurrence de Splinter Cell avait fait perdre à cette franchise un peu de sa superbe. Pourtant, les faits sont là, ce MGS 3 est un titre monumental. Bourré d’idées ingénieuses qui forcent le respect, exploitant le moindre détail du contexte pour le transformer en subtilité de gameplay jubilatoire, bénéficiant d’un storytelling de très haute volée à la construction enfin maîtrisée, MGS 3 est tout simplement une perle, l’un des jeux les plus marquants jamais sortis. Le travail d’un grand homme qui aura su imposer sa vision et son univers pour mener à bien ce projet titanesque, qui repose essentiellement sur sa personne. A la différence d’un Miyamoto, MGS est resté complètement tributaire de son papa, car Kojima a gardé le game design et le scénario sous sa responsabilité, deux aspects dans lesquels MGS 3 excelle. Un œuvre d’une rare maîtrise qui est l’aboutissement ultime pour la série et pour son géniteur. Un titre qui restera gravé dans les mémoires durant longtemps, comme la fin et les derniers passages, qui sont d’une puissance indescriptible. MGS 3 fait durer son climax pour atteindre le nirvana vidéo ludique, avec une résolution finale en apothéose.

La principale force de MGS 3, pour ma part, est d'être cohérent à tous les niveaux. Rien de dépareille du reste, tous les choix vont dans le même sens et cela se sent. MGS 3 est peut-être l'un des jeux vidéo les plus complet à ce jour, tant la maîtrise de ses différentes composantes est palpable. Il n'a rien de réellement révolutionnaire en soit: de bonnes idées de gameplay, une justesse dans le level design et d'autres facteurs à leur top niveau mais rien de fondamentalement nouveau, ni du côté du gameplay, ni du côté du scénario. Mais franchement, qu'est-ce que c'est bien foutu ! Il faut s'accrocher, mais rien n'est insurmontable et l'envie de progresser est une véritable drogue. MGS 3 maintient son rythme du début à la fin, il n'y a pas de passages chiants ou ennuyants. Le soin dont fait preuve ce titre est stupéfiant, c'est un concentré de bon sens, que l'on ne peut apprécié pleinement qu'en ayant admis certaines choses, qu'après avoir passé un contrat avec le jeu, où l'on accepte (ou non) les choix effectués. MGS 3 ne se comprend pas en quelques heures, il faut s'investir , observer, analyser, réfléchir dessus pour apprécier l'expérience à sa juste valeur. Pour ma part, MGS 3 est le jeu de l'année 2004 sans l'ombre d'un doute.

Yan Fanel, décembre 2004

Les points forts
Les points faibles
- Excellence dans le game design, novateur et jubilatoire
- Le champ de vision, très réduit
- Les nombreux détails et possibilités offertes
- Quelques commandes pas intuitives
- Excellence dans le level design, ouvert et très riche
- Certaines idées cassent le rythme de l'action (guérison)
- Scénario, personnages et mise en scène de qualité
 
- Réalisation très impressionnante
 
- La Replay Value excellente, malgré le manque d'indices
 
- La cohérence des choix, de l'ensemble
 

METAL GEAR - LA SERIE
Metal Gear NES & MSX 1987
Metal Gear 2 Solid Snake MSX 1990
Snake's Revenge NES 1990
Metal Gear Solid PlayStation & PC 1998 (2000 sur PC)
Metal Gear Solid VR Missions PlayStation 1999
Metal Gear : Ghost Babel Gameboy Color 2000
Metal Gear Solid 2 : Sons of Liberty PlayStation 2 2001
Metal Gear Solid 2 Substance PlayStation 2 & Xbox 2002
Metal Gear Solid The Twin Snakes Gamecube 2004
Metal Gear Solid 3 Snake Eater PlayStation 2 2004
Commentaires : Même si j'ai inclus Snake's Revenge dans la liste, ce dernier ne mérite vraiment pas d'y figurer. Il s'agit d'une suite réalisée pour les Etats Unis qui est très différente et largement inférieure au véritable Metal Gear 2. L'épisode GBC est appelé Metal Gear: Ghost Babel au Japon mais curieusement renommé Metal Gear Solid aux States, un bon argument marketing histoire d'attirer ceux qui ont découvert la série avec l'épisode PlayStation. Cet épisode ne fait pas vraiment parti de la storyline officielle de la série mais reste assez sympathique. J'ai éludé Metal Gear Solid Integral, qui est une simple version de MGS contenant les VR Missions.
METAL GEAR (1987)
METAL GEAR 2 SOLID SNAKE (1990)
SNAKE'S REVENGE (1990)
METAL GEAR SOLID (1998)
METAL GEAR : GHOST BABEL (2000)