PROJECT ZERO (FATAL FRAME)

Plate-forme PlayStation 2 (PAL)
Genre Aventure (Survival-Horror)
Editeur Wanadoo (France)
Développeur Tecmo
Date de sortie 13 décember 2001 (JP)
Texte 18227 caractères
Captures 15

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alors que Ubisoft a eu la bonne idée d'éditer Project Zero 2 (Fatal Frame 2) en France, c’est du premier volet que je fais aujourd’hui la critique, l’ayant découvert très tardivement. Jusqu’à l’arrivée de la PlayStation, le petit monde tourmenté du Survival-Horror était dominé par deux grandes séries phares, Resident Evil et Silent Hill, deux styles différents, de manière d’aborder le Survival-Horror (la troisième série, Alone in the Dark, étant en veille). Si Resident Evil avait réhabilité le genre, laissé pour mort après trois épisodes de Alone in the Dark de qualité décroissante, Silent Hill avait pris le contre pied complet de Resident Evil en proposant une vision plus sombre, jouant dans le domaine du malsain pour faire naître une peur viscérale, jouant plus sur le dégoût et les phobies humaines.

Jusqu’à présent, aucun titre n’avait réellement convaincu depuis ces deux séries, malgré les tentatives louables de Alone in the Dark 4 (Darkworks) ou du moins connu Deep Fear (Sega) sur Saturn. Tecmo se lance dans la bataille avec un titre complètement original, Fatal Frame au Japon, renommé Project Zero en occident. Partant dans un domaine relativement peu exploité, Project Zero explore le thème des fantômes et des rituels shintoïstes, en s’inspirant de vieux films d’horreur japonais, et plus particulièrement de Ring (1998) de Hideo Nakata lui-même inspiré d’une nouvelle de Kôji Suzuki. Ce film avait ressuscité au Japon un genre laissé à l’abandon depuis de nombreuses années pour devenir un phénomène de société. Le choix du thème est particulièrement pertinent, car il n’a pas vraiment exploité dans le jeu vidéo et se révèle idéal pour le genre Survival-Horror, qui requiert des règles strictes. Les différents contextes ne sont pas toujours adaptés ni pertinents et peuvent amener parfois de lourdes incohérences (comme une équipe d’élite équipé d’armement lourd bloquée par une porte en bois, pour viser une certaine série).

Une histoire d’ambiance
Project Zero s’inscrit donc dans la plus grande tradition du Survival-Horror, sans prétendre réinventer le genre, mais offre un thème qui se prête particulièrement aux sensations de peur et d’ambiance dont se nourrit le genre. Le résultat est un titre d'une rare intensité, qui se classe sans problème parmi les jeux les plus effrayants jamais réalisés.

Project Zero mise énormément sur l’ambiance pour immerger le joueur au sein d’un manoir ancestral japonais, un lieu particulièrement propice à des histoires sombres et inquiétantes. Les premiers pas dans Project Zero sont très révélateurs sur l’orientation du titre : le manoir n’a rien de surnaturel en soi, et pourtant il se dégage une impression d’angoisse à travers les différentes pièces. Le prologue met en scène le frère de l’héroïne, Mafuyu, à la recherche d’un écrivain dont il est sans nouvelles. La scène se passe dans un noir et blanc du plus bel effet, d’autant que le filtre sur l’appareil photo (votre principal arme) affiche une image avec un grain particulier, qui donne l’impression de légèrement déformer les textures. Dès le début, on ressent un certain stress, en imaginant des mouvements fugitifs à travers le décor. L’une des grandes particularités de Project Zero est de susciter une appréhension de l’invisible, qui devient encore plus terrifiant que le visible. Ce prologue pose une ambiance particulièrement puissante, difficile à décrire, qui ne manquera pas de repousser les moins courageux. Pour progresser dans Project Zero, il faut avoir les nerfs solides.

Le thème des fantômes et la forte inspiration de Ring sont vraiment efficaces, surtout pour un jeu du type Survival-Horror. Les ennemis sont des fantômes qui peuvent surgir de partout, derrière une porte, devant un miroir ou autre. Ces fantômes peuvent se déplacer sans aucune contrainte, ils passent à travers les murs sans la moindre difficulté et peuvent parfois vous suivre à travers plusieurs lieux, à la différence des zombies de Resident Evil incapables d’ouvrir la moindre porte. Les dégâts qu’ils infligent proviennent essentiellement d’un contact au corps à corps, ce qui est souvent la différence flagrante entre un Survival-Horror et un jeu d’action. Au moindre contact, l’écran passe en négatif et la barre de vie baisse plus ou moins suivant l'importance de ce contact. L’ennemi choisi est intéressant pour se genre de jeu, Miku doit prendre garde à attaquer le fantôme tout en se tenant à distance. Sachant que les attaques les plus efficaces sont les attaques de très près, on comprend aisément le stress que peut générer un combat dans Project Zero.

A l’inverse d’un Silent Hill ou d’un Resident Evil, Project Zero reste ancré dans le réalisme et cela joue grandement sur l’ambiance. Autant Resident Evil met rapidement ses zombies en place, autant il peut se passer n’importe quoi dans Silent Hill, autant Project Zero étonne et distille la peur avec parcimonie, par petites touches d’une remarquable efficacité. Le manoir japonais ne dérive jamais, il reste un manoir jusqu’au bout, sans basculer dans les délires Silent Hill-esques, et le résultat est une peur de tout les instants, bien plus forte que les passages les plus glauques ou complètement froids que l’on a l’habitude de traverser dans ce type de jeu.

Recette de Game Design pour instaurer la peur permanente
Project Zero arrive à réaliser un exploit qu’aucun jeu n’est parvenu à atteindre jusqu’à présent : offrir une peur permanente, omniprésente pour le joueur. Non pas que Resident Evil ou Silent Hill soient mauvais dans leur domaine, mais les différentes armes et situations qu’ils proposent ne maintiennent pas le suspens à chaque instant. Ce constat a pour origine d’excellents choix de Game Design, comme l’ambiance générale du titre, les ennemis et l’arme mise à disposition. L’alchimie des trois, parfaitement maîtrisée, offre des situations de peur intenses.

L’arme en question est un appareil photo très puissant dotés de pouvoirs exorciseurs, mais qui demeure un simple appareil photo. J’entends par là que l’on ne peut s’y accrocher comme on le fait à sa mitraillette dans un Resident Evil, ou à son fusil de chasse dans Silent Hill. Cette arme n’a rien de rassurant et les munitions ne sont pas nombreuses. Il existe différents types de pellicules, plus ou moins puissantes qui font des dégâts variables aux ennemis. La progression de l’armement se fait essentiellement par ses pellicules et par l’amélioration de son appareil. Heureusement, les points de sauvegardes salvateurs permettent de recharger gratuitement ses munitions les plus faibles, un petit détail qu’il vaut mieux découvrir assez tôt, sous peine de pester contre le manque de ressources (et éventuellement d’être bloqué, comme c’était mon cas, mais la faute m’en reviens personnellement).

Les fantômes peuvent surgir de n’importe où : derrière une porte, derrière un paravent… Pour résumer, les ennemis sont partout, peuvent surgir à tout moment et le cas échant le voyant rouge de votre appareil photo s’allume pour vous prévenir. Le voyant de l’appareil peut devenir bleu s’il s’agit d’une simple apparition inoffensive ou rouge s’il s’agit d’un ennemi. A noter que la manette vibre souvent et que ces vibrations font partis intégrante de la peur générée par les apparitions. En effet les vibrations reprennent le rythme des battements de cœur de notre héroïne, comme pouvait le faire Silent Hill sauf que l’association était faite avec la barre de vie (plus la barre de vie était faible, plus la manette vibrait). Ici, c’est encore plus fort car la manette vibre au moindre danger. Il suffit que la manette vibre, que le voyant soit rouge pour que l’on se sente immédiatement en danger. Sachant que les ennemis peuvent intervenir n’importe quand, la peur est permanente.

Dans le cas des apparitions en bleu, la tension est présente car il s’agit de phénomènes fugitifs, très rapides. Il n’est pas indispensable d’immortaliser ces scènes, mais elles rapportent un nombre de point très conséquent, souvent plus que les ennemis d’ailleurs. Les réflexes et la précision du joueur sont à l’épreuve, même lorsque le danger est absent.

Pour le cas des fantômes agressifs, le voyant passe immédiatement au rouge et c’est la panique. Il faut trouver le fantôme (ces derniers ont souvent tendances à passer derrière l’héroïne), à distance convenable, cadrer le fantôme l’appareil se charge en énergie et attendre son assaut pour lui porter un flash fatal. Le système de combat est très efficace, avec différents types de tir suivant le moment, le cadrage, le niveau de charge et le pouvoir spécial utilisé. Car l’appareil photo peut être amélioré en dépensant les points récoltés par la chasse aux fantômes. Il est possible d’améliorer son objectif, d’augmenter sa vitesse de chargement et sa puissance maximale. Une bonne manière de récompenser les chasseurs de fantômes et les plus rapides.

Les ennemis sont des fantômes, mais ont des particularités qui différents selon leurs types. Certains fantômes n’ont pas les mêmes « pattern » d’attaques, ils peuvent zigzaguer, passer derrière vous après un flash reçu (heureusement Miku dispose de la possibilité de se retourner immédiatement), ou vous attaquer de front avec des armes (au sabre notamment).

On prend vite des habitudes de jeu que l’on avait un peu oublié ces derniers temps, comme être prêt à utiliser son appareil dès que l’on franchit la moindre porte. Il suffit qu’un fantôme apparaisse une ou deux fois derrière une porte pour que chaque porte en devienne stressante. Un excellente preuve de maîtrise du genre car le jeu intègre ce genre de scène dès le début. Autant dire que les apparitions soudaines sont monnaie courante, que chaque pas, chaque avancée est stressante. D’ailleurs on se rend compte que Project Zero ne mise clairement pas dans le même registre que ces illustres aînés quand on voit le sang arriver très tardivement. Alors que le manoir était plutôt froid, très bien rangé, très propre, les premières traînées de sang sur le sol ont un effet perturbateur d’une rare puissance narrative. Toujours en décalage avec Resident Evil et son côté sanglant qui survient dès les premières scènes, ou le glauque caractéristique de Silent Hill, l’univers de Project Zero semble normal (hormis les habitants du manoir bien entendu) mais dès que le sang apparaît, l’ambiance change radicalement.

Au cours du voyage, on peut apercevoir des distorsions sur les endroits un peu « louches », qui soulignent la présente d’un hôte pour le moins discret. La structure de jeu est assez classique mais intègre des puzzles très cohérents, en rapport avec l’univers. Par exemple, certaines portes sont bloquées par des sceaux associés à un fantôme, il faudrait exorciser le fantôme pour ouvrir la porte en question. En outre, lorsque l’on fait face à une énigme, un coup d’appareil photo permet de localiser l’objet associé à l’énigme. Toujours à titre d’exemple, s’il vous faut un miroir à replacer pour ouvrir un mécanisme, une photo révélera l’endroit où se trouve le miroir en question. Ce système très ingénieux est renforcé par une bonne caractérisation des lieux, si bien qu’on ne se retrouve jamais vraiment perdu. On trouve souvent des notes sur le chemin, qui permettent de poser l’intrigue, vu qu’il n’y a quasiment aucun dialogue, et d’en découvrir plus sur l’histoire du manoir et de fa famille y résidant. On pourra également trouver des indices indispensables dans ces notes pour franchir certains obstacles.

La construction plus simple avec des parties inaccessibles à débloquer. Cependant, bien que plus simple que les énigmes d’un Resident Evil, celles de Project Zero sont beaucoup mieux intégrées : le coup de la clé est décidemment un classique intemporelle, mais les autres obstacles sont des sceaux, des énigmes basées sur des Kanji en rapport direct avec les mythes… Il n’y a pas de porte avec un tabouret devant qui empêche de passer, ni de porte en bois infranchissable alors que le héros porte une arme lourde. Tout est plus cohérent et la « Suspension of Belief » est renforcée par cette cohérence. L’héroïne n’est pas du genre à défoncer une porte, elle est plutôt frêle, et on peut tout à fait admettre que des sceaux puissants soient suffisants pour bloquer une porte, surtout dans un univers mystique comme celui que met en place Project Zero. La combinaison de ces mécanismes de gameplay aboutit à une peur omniprésente pour le joueur, considérablement renforcée par l’excellente mise en scène du titre.

Mise en scène et quelques défauts
En plus de ces qualités de gameplay et de design, Project Zero bénéficie d’une mise en scène très travaillée. Les effets narratifs y sont très nombreux et aboutissent toujours à davantage d’angoisse. En vrac on peut citer les changement d’angle de vue pour voir son personnage à travers les yeux d’un fantôme (réutilisé dans Siren d’ailleurs), les sons stressants d’objets hors champs (bruits étranges d’un magnétophone, « toc toc » à une porte, cri de bébé…), les angles de vue fixes avec d’étranges phénomènes en arrière plan (une porte qui s’ouvre dans le fond alors que l’héroïne est face à la caméra), les Flash-back en touchant certains objets permettant une réorganisation de la structure narrative, les ombres inquiétantes qui s’approchent lentement…

Project Zero est une véritable encyclopédie de mise en scène de la peur, qui permet de faire monter la tension avec un minimum de ressources graphiques. Lorsque l’ambiance est là, il est nettement plus puissant de faire s’ouvrir une porte, geste qui pourrait être anodin ailleurs, que de faire surgir un monstre. Project Zero est vraiment axé sur un fort côté suggestif, qui fait participer le joueur à sa propre peur par une brillante mise en scène. L'imagination travaille en permanence, l'invisible prend une place sans partage dans la narration du titre, et la seule façon pour notre esprit de meubler cet invisible est d'imaginer ce qu'il contient. C'est sûr cette corde encore peu exploitée dans le jeu vidéo que tire Project Zero, en se nourrissant de l'angoisse du joueur.

Les angles de vue sont souvent larges, si bien qu’on peut voir l’héroïne s’éloigner de la caméra pour aller chercher un objet, et on s’attend presque à voir surgir un fantôme dans son dos. En fait dès que la caméra s’éloigne de l’héroïne ou s’oriente vers un angle particulier, la peur est immédiate mais il s’agit surtout d’une conséquence de l’ambiance du titre. Il arrive parfois que des angles de vue ne soient pas très pertinents, avec des changements d’axes qui peuvent parfois désorienter. Etant donner que le contrôle est toujours relatif à la caméra (contrairement à Resident Evil où il est relatif au personnage), cela peut gêner parfois, même si la tolérance du stick analogique (« Buffer » d’une direction) est un bon remède à cet éventuel problème (il est possible de maintenir une direction après un changement d’angle de vue pour continuer dans la même direction, alors que la direction serait fausse théoriquement). Ce contrôle est largement plus confortable que celui de Resident Evil, qui tombe vraiment en désuétude (Silent Hill 2 & 3 proposent le choix au joueur).

Enfin, Project Zero joue beaucoup avec le noir et blanc pour nous montrer des scènes du passé avec de saisissants contrastes. Ce genre d'utilisation confirme que l'impact du noir et blanc en tant qu'effet de style n'est pas à négliger dans le jeu vidéo. Certaines scènes y gagnent largement en terme d'intensité.

Il peut arriver que notre « Suspension of Disbelief » puisse être brisée, lorsque l’on est à fond dans le manoir avec l’histoire de fantôme et on recherche des indices. En voulant faire le tour du petit temple à l’extérieur de la maison, un mur invisible sans aucune raison empêche de faire le tour. Un petit incident très ponctuel pour ne pas dire unique qui gâche un peu l’ambiance mais qui ne remet pas en cause les énormes qualités du titre.

La réalisation est très correcte, avec un bon travail sur la lumière et les ombres, même s’il est nettement moins accentué que dans un Silent Hill. Les textures sont parfois un peu limitées, notamment les textures du sol en extérieur, particulièrement floues qui peuvent rappeler les jeux Nintendo 64… On pourrait rétorquer que la faute incombe surtout à la machine et a sa faible ram, mais des jeux comme Silent Hill 3 proposent une richesse impressionnante dans le domaine. Si la qualité globale du titre est plus que suffisante, Project Zero n’éblouit pas techniquement et peut sembler visuellement austère parfois, même si cela fait parti de son charme. Néanmoins, les effets spéciaux, surtout les déformations ou les distorsions, sont utilisés à la perfection.

Conclusion
Les concepteurs de Project Zero ont tout compris au Survival-Horror et utilisent ses mécanismes avec une rare efficacité. La peur est omniprésente, les scènes font sursauter et le fait qu’il reste ancré dans la réalité joue énormément sur son ambiance pesante. Project Zero est l’équivalent de Ring (dont il ne cache absolument pas son inspiration) en jeu vidéo, et connaissant la qualité du film japonais, ce n’est pas un mince compliment. Si l'on devait définir un titre typiquement représentatif du genre, ce serait Project Zero, tant il est ancré dans les règles de ce genre de jeu, qu'il les utilise à la perfection tout en proposant des situations inédites.

De nombreuses scènes peuvent rappeler des films d'angoisse, et c'est ici l'interactivité en plus qui fait mouche, pour créer un stress permanent. Très linéaire, en environnement restreint, Project Zero montre que l’on peut encore faire un jeu de grande qualité sans produire des kilomètres de décors ou de personnages. L’intrigue est intéressante et ne se dévoile qu’à coup de notes pour susciter un état d’isolement du joueur comparable à celui d’une Samus dans un Metroid Prime (la comparaison s’impose dans la manière d’amener le scénario, par les notes, pour conserver un isolement puissant).

Etant donné que la suite de ce titre est sorti, Project Zero 2 Crimson Butterfly, je ne saurais que trop conseiller l’investissement dans ce titre que l’on peut désormais trouver pour la modique somme de trente euros, afin de profiter d’une série qui rejoint Resident Evil et Silent Hill aux sommets du genre.

Yan Fanel, mai 2004

Les points forts
Les points faibles
- L'ambiance oppressante et la mise en scène
- Des textures assez floues
- Les combats novateurs et efficaces
- Un contrôle un peu mou
- La peur de l'invisible
 
- Le thème particulièrement adapté au genre