PLANESCAPE : TORMENT

Plate-forme PC CD-Rom
Genre RPG
Editeur Interplay
Développeur Black Isle
Date de sortie 30 novembre 1999 (US)
Texte 13138 caractères
Captures 15

 

 

 

 

 

 

 

Bienvenue à Sigil, la « Cité des Portes » ! Ce sont ces quelques mots, dissimulés derrière l’emballage, qui donnent le ton de ce jeu si particulier. Avec des prédécesseurs tels que Fallout et Baldur’s Gate, Planescape : Torment ne pouvait être un titre banal. Dérivé de l’extension de Donjons & Dragons du même nom (dont il est l'unique incarnation vidéoludique), Planescape : Torment offre un univers bien plus original que celui classique ayant donné naissance à la série des Baldur’s Gate. Les développeurs de Black Isle ont tiré la quintessence de cet univers pour réaliser un jeu d’une qualité extraordinaire qui demeure l’un des jeux les plus adulés sur PC. Un univers unique, une grande richesse, des personnages étonnants et un scénario à toute épreuve, les qualités de Planescape sont légions, surtout qu’elles se distinguent sans difficulté d’un Baldur’s Gate, nettement plus banal, qui a pourtant eu plus de succès. Voyons donc les premiers pas dans l’aventure à travers une petite visite guidée de Sigil et une analyse des principaux aspects de ce titre si particulier.

Sigil, la cité des portes
Les événements d’exposition de Planescape : Torment sont plutôt originaux et posent les bases d’une ambiance glauque. Vous vous réveillez dans une morgue, sans le moindre souvenir, en compagnie d’un crâne flottant, qui sera le premier de vos alliés. Difficile d’aller plus mal, surtout que votre aspect n’est pas épargné : gueule de déterré, corps recouvert de cicatrices et physique peu flatteur. Notre héros n’a même pas connaissance de son nom, et il n’est pas prêt de le retrouver. Le seul indice se trouve sur votre dos, quelqu’un ayant eu la lumineuse idée d’écrire un message sur votre chair. Avec l’aide de Morte, le crâne flottant, vous allez pouvoir lire ce texte et partir immédiatement en quête de réponses aux questions existentielles que l’on peut vraisemblablement se poser dans ce genre de situation.

La première est la raison de votre présence dans la morgue, qui semble être une erreur, étant donné votre état actuel, c'est-à-dire sur vos deux pieds. Traditionnellement, les morts ne se relèvent pas et n’errent pas davantage dans une morgue en compagnie d’un crâne. D’ailleurs, les êtres normaux ne sont pas non plus capables de se relever sans cesse après être mort comme vous le faites si bien. Car oui, vous semblez bien immortel et la mort ne vous emporte jamais bien loin. Il s’agit de la seconde grande question du jeu, et d’un fil scénaristique essentiel. Il est intéressant de noter que le jeu tourne essentiellement autour du thème de la mort et que les cas de Game Over sont assez rares et calqués sur les résolutions possibles de votre périple. En gros, il n’existe qu’une poignée de situations particulières dans le scénario où il ne vous sera pas possible de vous relever. Le tourment du personnage est palpable à travers l’écran et dans un sens, la mort serait une sorte de libération, qui vous empêcherait néanmoins de découvrir le passionnant scénario dont bénéficie Planescape : Torment.

Voilà comment poser les bases d’une ambiance bien particulière. Les premiers voyages dans la morgue sont assez fastidieux mais rapidement, votre héros pourra accéder à la cité de Sigil, où va se dérouler une bonne partie de l’aventure.

Premier point important, l’univers de Planescape est d’une grande richesse, même si l’aventure est principalement centrée à l’intérieur d’une ville. Les dialogues sont extrêmement travaillés, parfois un peu longs, mais ils sont cohérents et permettent une immersion totale dans cet univers. D’ailleurs, cette univers est basé sur des « portes », chaque porte a une clé, matérielle ou immatérielle (un sentiment peut ouvrir une porte dimensionnelle par exemple). La cité de Sigil regorge de portes menant vers des plans différents, ce qui donne un côté mystérieux à votre exploration. La cité de Sigil est au centre de divers luttes entre entités qui vous dépassent, sous le joug d’une certaine personne qui joue le rôle d’arbitre dans la cité et que vous pourrez croiser si vous effectuez certaines actions fort peu conseillées.

Second point, le scénario est d’une rare densité et les rebondissements sont nombreux. L’aventure est passionnante de bout en bout (difficile de ne rien révéler de cette aventure si prenante) et les séquences sont très bien équilibrées, notamment au début (alternance de dialogue, de passages d’action et de quêtes). Centrée autour de grands thèmes comme la mort et la rédemption, la trame est plutôt rythmée, même si les révélations d’importance tardent à venir. La question de l’identité du personnage et des raisons de son immortalité maintient le joueur en haleine tout au long du jeu, même si l’ennemi tarde à se manifester réellement (ce dernier préfère combattre à distance et par l’intermédiaire d’autres personnes semble-t-il). C’est bien simple, Planescape : Torment est à maquer d’une croix dans l’histoire des RPG tant son scénario est mature, avec beaucoup de points philosophiques abordés et une grande richesse événementielles. Les dialogues sont en tout point remarquables et témoignent d’un énorme talent d’écriture à chaque instant.

Enfin, l’ambiance de Planescape Torment est pour le moins dépaysante. Oscillant entre glauque, décadence et étrange, les différents lieux composant le jeu dégagent une forte ambiance, renforcée par les compositions musicales de qualité. Il est simplement dommage que les thèmes ne soient pas plus nombreux et variés. Certains lieux possèdent vraiment une ambiance unique, grâce à quelques décors fourmillant de détails (le jeu est basé sur le fameux Infinity Engine également dans utilisé dans Baldur’s Gate) et des thèmes bien choisis (la maison des Sens, le palais de Grace, est un régal, autant pour son ambiance que pour ses personnages).

Aucun souci dans la réalisation, les personnages sont très bien animés, les décors sont très détaillés et les effets spéciaux impressionnants parfois. Il se dégage parfois le même genre de sentiment que dans Final Fantasy VII, qui proposait des décors dans le même ton (surtout la première partie du jeu à Midgar), ce qui est plutôt flatteur, vu la qualité de l’ambiance du titre en question (pour l’anecdote, aux dires des crédits de fin, Final Fantasy VII et VIII auraient eu une part d’influence chez les concepteurs du titre). Le voyage dans le cœur de Sigil est tout simplement unique et vos différentes rencontres ne pourront vous laisser de marbre.

Une équipe très spéciale
L’une des grandes forces de Planescape est la variété des compagnons qui vont se joindre à l’aventure. Que ce soit Morte le crâne volant qui semble cacher bien des secrets, Dak’kon le guerrier porteur de la Karach Blade, une lame unique qui change de forme selon son humeur et son niveau, qui s’est forgé sa propre religion. Annah, la voleuse au tempérament assez…agressif, Ignus, un être de flamme complètement fou dont la puissance semble illimité, Grace, une succube très charismatique et Vailor, un guerrier-armure viendront vous prêter main forte. Enfin certains ne sont pas là que pour vous aider… Néanmoins toute aide est bonne à prendre, d’autant que certains affrontements sont loin d’être évidents (le jeu n’est pas facile dans l’ensemble). Commander une équipe si peu orthodoxe est un plaisir, d’autant que les personnages ont des rapports entre eux (il arrive que Grace pose d’elle-même des questions aux autres personnages). La cohésion du groupe est très importante et il est bien difficile de maintenir un semblant d’ordre dans un tel groupe de fortes têtes, d’autant qu’aucun de vos alliés ne s’est joint à vous par hasard.

Les liens qui vous unissent à ces personnages constitueront une partie de la trame scénaristique à part entière. Les motivations de certains feront parties des nombreux mystères à élucider au cours de l’aventure, tout en obtenant différents renseignements sur vous-même. Les révélations concernant le passé de ces personnages, et éventuellement les rapports entre ces derniers et le Sans-Nom (terme désignant le héros de Planescape tout au long du jeu), ne manqueront pas de surprendre le joueur, habitué à des schémas plus classiques se contentant de regrouper les poncifs du genre.

Un autre point d’importance concernant les PNJ est la gestion de leurs actions. En effet, les PNJ réagissent parfois à certaines de vos actions (Annah manque de déclencher une bagarre si le Sans-Nom se dirige vers une personne vendant du plaisir par exemple). Il arrive de se retrouver dans des situations très délicates : si Vailor, fervent défenseur de la justice est présent quand vous obtenez des renseignements sur votre identité, il peut se retourner contre vous. Il lui arrive également d’achever des adversaires, alors que Sans-Nom a décidé de les épargner. Ne parlons même pas du cas d’Ignus, qui clame haut et fort qu’il va brûler toute l’équipe, ce qui incite le joueur à se débarrasser de lui au plus vite…Ce traitement des PNJ est assez sensationnel car chaque personnage a ses propres motivations, et ces dernières apparaissent nécessairement à un moment ou à un autre. Morte vous trompe-t-il depuis le début, pourquoi Annah et Dak’kon ont décidé de vous suivre ? Les questions affluent sans cesse et il faut constamment être sur ses gardes, se méfier de la moindre parole prononcée. Il est assez rare d’intégrer aussi bien des personnages au scénario, cela change agréablement des poncifs des habituels RPG du genre « Oh tu m’as aidé, je te suivrais jusqu’à la mort », que l’on trouve notamment dans les RPG japonais.

Des niveaux faramineux
Basé sur les règles de Donjons & Dragon, Planescape ne dépaysera pas les habitués de Baldur’s Gate. Par contre, il est intéressant de constater que Planescape offre une liberté d’action vraiment conséquente. Les différents conflits peuvent souvent se régler de plusieurs manières, et il est tout à fait possible de progresser dans le jeu en livrant un minimum de combat. Les nombreuses quêtes offrent des points d’expérience permettant de progresser sans avoir à faire du « Leveling » rébarbatif. Les adeptes des combats de masse pourront trouver leur intérêt dans Planescape, au même titre que les joueurs plus orientés sur les dialogues. Il s’agit sans aucun doute d’une des grandes forces de ce titre. Bien que la trame soit très linéaire (une quête principale avec de multiples sous-quêtes imbriquées), cette liberté de parcours permet à chaque joueur d’adapter son rythme de jeu. Les combats sont nombreux pour satisfaire les fans d’action, mais beaucoup ne sont pas indispensables et il est possible de progresser autrement en remplissant toutes sortes de quêtes (assez nombreuses d’ailleurs).

Cette liberté se retrouve dans les dialogues à choix multiples qui sont d’une richesse épatante. Le joueur a constamment le choix entre plusieurs attitudes (dire la vérité, bluffer, avec des choix de réponses très différents…), et certains varient en fonction de vos caractéristiques (surtout l’intelligence, essentielle à la fin du jeu). Les dialogues sont particulièrement bien écrits (et bien traduits, même si on peut constater certains oublis à ce niveau) et font progresser la trame narrative avec une rare efficacité.

Conclusion
En conclusion, Planescape : Torment est une grande réussite du jeu de rôle PC, même si certains points sont à nuancer. Le rythme du jeu, par exemple, peut être assez déroutant. Les débuts sont un peu longs, le développement est bien équilibré entre quêtes basées sur l’action et quête centrée sur l’exploration. Par la suite, après avoir quitté Sigil, on se retrouve avec une pluie de scènes de combats assez titanesques et difficiles, obligeant le joueur à recommencer plusieurs fois les mêmes salles (heureusement que le héros est immortel, sans quoi le jeu serait très démoralisant). Dommage également que certains bugs viennent empêcher la résolution de certaines quêtes (heureusement pas indispensables).

Attention, ces quelques points noirs ne sont rien à côté du plaisir indescriptible qu’offre Planescape : Torment. L’humour est omniprésent (essayez d’enlever l’arme de Morte pour voir, ou équipez Grace d’un anneau…), malgré la gravité de l’histoire, et les répliques de Morte offrent une bouffée d’air frais au joueur, souvent cyniques et amusantes. Le scénario mérite largement de s’investir quelques dizaines d’heures dans cette grande aventure, surtout lorsqu’on est un habitué des RPG, car c’est précisément dans cette situation que l’on ressent le gouffre entre Planescape : Torment et le reste.

L’équilibre du jeu entre action, dialogue et exploration témoigne d’une parfaite maîtrise du genre. Les points forts de ce titre sont nombreux mais aucun descriptif ne saurait rendre la particularité de ce titre, une fois que le joueur est plongé dans l’aventure. Planescape : Torment est une grande réussite, et l’un des meilleurs RPG existant, qui dépasse très largement la quasi-totalité des RPG produit jusqu’à présent. Ce jeu fait sans doute parti des cinq meilleurs RPG jamais réalisés dans l’histoire du jeu vidéo, notamment par la profondeur son scénario et la richesse de ses dialogues. Une petite merveille qu’il est criminel d’ignorer.

Yan Fanel, décembre 2003

Les points forts
Les points faibles
- Le scénario d'une rare profondeur
- Quelques bugs...
- Les personnages remarquablement travaillés
 
- L'ambiance unique
 
- Les différentes résolutions possibles pour les obstacles  
- La puissance émotionnelle de certaines séquences  
- La qualité d'écriture des dialogues et l'humour omniprésent