ETUDE DE THE MARK OF KRI : COMBATS CONTEXTUELS

The Mark of Kri est un jeu sorti en 2002 pour la PlayStation 2, développé par le studio de Sony à San Diego, qui renouvelle le genre désuet du Beat’em All par une combinaison d’idées de gameplay intéressantes. Son style d’animation à la Disney tranchant avec sa violence et ses diverses idées lui ont valu un succès critique tout à fait estimable. Le joueur y incarne Rau, un puissant guerrier ayant soif de combat, après s’être entraîné durant de longues années. Si la mise en scène est relativement classique, Mark of Kri se permet ni plus ni moins de renouveler un genre vieux de quinze ans, bien connu pour se nourrir de successions de poncifs. Sortie à la même période que les Deux Tours de Electronic Arts, Mark of Kri n’a pas eu le succès qu’il méritait, le grand public lui ayant préféré le beat’em All de EA, bien réalisé mais nettement moins intéressant au niveau du gameplay.

Mark of Kri marque un tournant dans la petite histoire du Beat’em All, et même si son nom ne fait pas écho chez les joueurs comme peuvent le faire Double Dragon, Final Fight ou le très culte Guardian Heroes, Mark of Kri mérite que l’on s’y attarde pendant quelques heures. C’est pour cette raison que lui dédié une Fiche de Game Design plutôt qu’une critique, pour se focaliser uniquement sur ses innovations. Le renouveau apporté par Mark of Kri se place sur trois axes différentes : une nouvelle approche des combats plus contextuelle, un mélange des genres pour le moins inattendu et des petites idées de gameplay vraiment intéressantes qui renforcent la valeur du titre.

Une approche contextuelle des combats

La manière d’appréhender les combats de Mark of Kri est très originale : alors que les autres jeux du genre proposaient un contrôle libre, mais avec des boutons fixes pour les différentes attaques, ce dernier propose au joueur de cibler les ennemis par l’intermédiaire du stick analogique droit. Ce stick gère un faisceau autour de Rau qu’il est possible d’orienter comme le joueur le désire. Chaque ennemi touché par le faisceau se voit attribué un bouton (Carré, Rond ou Triangle).

Si plusieurs ennemis sont présents, il est possible d’en cibler trois en même temps pour afficher au-dessus de la tête de l’ennemi un bouton précis. Dorénavant, chaque pression sur le bouton attaquera l’ennemi qui lui est attribué : par exemple si un garde a été ciblé avec le bouton Carré, une pression sur le bouton Carré fera attaquer Rau en direction de cette ennemi, avec un coup différent selon sa position et sa distance.

Ainsi, entouré par plusieurs ennemis, Rau a la possibilité de passer de l’un à l’autre à tout moment ou bien de réaliser un combo simple sur un ennemi ciblé (Carré, Carré, Carré par exemple). Maintenant, sachant que toutes les attaques sont contextuelles, il faut savoir que les enchaînements les plus destructeurs ne sont réalisables qu’avec un seul ennemi ciblé. En effet, cette configuration libère les autres boutons qui permettent alors de faire de puissants combos (par exemple le bouton Croix pour attaquer l’ennemi assigné avec ce bouton, suivi de Carré puis de Rond).

En résumé, il est tout à fait possible de se battre contre des groupes des trois ennemis, mais notre héros sera bien plus efficace s’il cible moins d’ennemis. Ce petit dilemme amène nécessairement à des choix au joueur, ce qui constitue une base pour l’intéresser. Cette approche contextuelle des combats est à mon sens, bien plus intéressante que les combats proposés dans les autres titres orientés action tel que Prince of Persia : The Sands of Time car elle est nettement plus riche en possibilité et plus originale. Le nombre de bouton utilisé peut déstabiliser, mais cela ne demande qu’une petite adaptation et se révèle bien plus intéressant en terme de choix. D’autre part, ce n’est pas un hasard si les commandes contextuelles remportent un grand succès depuis plusieurs années, elles ouvrent des perspectives inexploitables autrement et le choix constant proposé dans Mark of Kri n’en est qu’un exemple. On peut saluer également l’exploitation judicieuse de la manette PlayStation 2, avec des possibilités encore toujours peu exploitées comme le second stick analogique et le bouton R3.

Le mélange des genres (ou Spy Beat'em All)

Très orienté action dans un premier temps, The Mark of Kri n’est pourtant pas qu’un simple Beat’em All puisqu’il propose un important côté infiltration pour réaliser des « Stealth Kill (meurtre en tout discrétion) à la manière d’un Tenchu. Concrètement, en rengainant son arme et en se déplaçant dans le dos des ennemis, Rau a la possibilité de se débarrasser de ces derniers de manière discrète et efficace. Un petit exemple pour mieux cerner ce concept : si Rau s’approche du dos d’un ennemi arme à la main, il risque de faire du bruit et de se faire surprendre. Par contre, une fois son arme rengainée, il pourra cibler l’ennemi pour lui attribuer une touche (comme dans les combats). Au départ figée, cette touche va clignoter à mesure que s’approche Rau et une bonne pression pour ce bouton lancera une séquence automatique au cours de laquelle Rau décapite son ennemi d’une manière on ne peut plus violente.

Dans le même ordre d’idée, Rau peut longer un mur à la manière de Snake dans Metal Gear Solid. Par contre, ce que ne peut pas faire Snake, c’est cibler un ennemi pour faire un Stealth Kill comme le fait Rau (dans Metal Gear Solid, il faudrait tout faire « à la main », exercice plutôt ardu). Ainsi, il devient très intéressant d’éviter les confrontations directes pour progresser plus facilement.

Plus fort encore, lorsque plusieurs ennemis tournent leurs dos, Rau peut cibler les deux pour faire un enchaînement de Stealth Kill en appuyant correctement sur les boutons ! Particulièrement jouissives, ces séquences spéciales offrent une récompense (le fameux « Rewarding » indispensable en Game Design) très amusante et particulièrement violentes. Il ne faut pas s’étonner de voir Rau arracher des membres et faire couler le sang à flot. Le style graphique qui fait très dessin animé se charge d’atténuer l’impact des séquences de fort belle manière, sans tomber dans la violence primaire et basique d’autres types de jeux, pas toujours justifiée…

L’aspect infiltration est donc très marqué dans Mark of Kri, et il pourrait sembler difficile d’appréhender le décor avec une vue à la troisième personne de ce type. Le coup de génie du studio de développement a été d’offrir une coordination entre Rau et son oiseau, qui non seulement renforce la caractérisation du personnage, mais ouvre aussi un nouveau gameplay. Rau peut ordonner à son oiseau de se percher et pourra à tout moment bénéficier de la vision de son oiseau pour appréhender le décor. Sachant qu’il est possible de déplacer l’oiseau de perchoirs en perchoirs, Rau aura rapidement une visualisation bien plus importante de l’arène de jeu et pourra les appréhender sous un aspect plus stratégique. Une très bonne idée, pas indispensable, mais qui donne un petit côté coopération, coordination entre Rau et son oiseau, d’autant que ce dernier est indispensable pour actionner certains mécanismes hors de la portée de Rau.

Très portée sur l’infiltration, il faut savoir que Mark of Kri laisse constamment le choix au joueur. Il est possible de s’en sortir en réfléchissant un peu pour faire des « Stealth Kill », mais un joueur très porté sur les combats pourra parfaitement s’en sortir autrement, avec plus de difficulté, mais cela reste possible. Mark of Kri n’oblige pas le joueur à jouer d’une manière ou d’une autre, il propose une situation et laisse deux grandes familles de manœuvres, en rapport avec la situation. Il propose différentes possibilités par son gameplay et le joueur doit choisir celles qui lui conviennent le mieux.

Des idées intéressantes

Voici en vrac d’autres petites réjouissance que l’on peut trouver dans Mark of Kri, des petits idées qui ne mangent pas de pain, mais renforcent le plaisir de jeu. De part la taille de l’épée de Rau, ce dernier a énormément de difficulté à combattre dans des endroits exigus. En effet son arme tape contre les murs en empêchant la réalisation de Combos et en laissant Rau vulnérable un instant. Dans ce genre de situation, il vaut mieux favoriser le « Stealth Kill ».

En rapport avec ce genre de configuration du terrain, Rau peut encaisser une attaque à main nue pour réaliser un contre. Attention, pas n’importe quel contre ! Un contre fait exactement la même chose qu’un Stealh Kill, c’est-à-dire permet de se débarrasser d’un ennemi en un seul et unique coup ! Cela valorise largement les risques et offre un nouveau choix dans les situations à mouvements restreints. Rau peut tenter de s’approcher dans le dos pour lui briser la nuque, ou bien provoquer le garde, parer son attaque et le contrer.

Autre petite idée, les effets varient suivant les surfaces que Rau frappe, au cours d’un mouvement avec son épée. En frappant sur de la pierre, Rau est étourdi un bref instant et ne peut enchaîner. Par contre, en tapant du bois, Rau peut accidentellement planter son épée dans un arbre, ce qui le laisse vulnérable le temps de dégager son arme. Il faut être très vigilant sur l’environnement !

Conclusion

Mark of Kri n’est peut-être pas ce que l’on appelle communément un grand jeu, mais est indéniablement un excellent travail de Game Design. Il se permet de réinventer un genre pourtant vieux et usé jusqu’à la corde, d’une manière particulièrement intelligente. Il offre constamment des situations de choix, avec différentes possibilités et le joueur utilise la stratégie qu’il désire. Mark of Kri est un véritable tour de force car il offre des innovations intéressantes qui changent la manière de percevoir l’espace, habituellement purement décoratif dans ce genre de jeu. Infiniment plus intéressant que les autres Beat’em All récent en 3D comme les Deux Tours ou le Retour du Roi, il marque un tournant dans le genre avec des idées intelligentes qui pourront sûrement être exploitées et développées ailleurs.

Il n’y a plus qu’à attendre avec impatience les autres jeux de ce studio, présenté à l’E3 cette année avec bien entendu la suite de Mark of Kri et surtout un God of War particulièrement impressionnant, qui semble de la même veine, mais réalisé par le studio de Santa Monica. Voilà ce que peut donner un jeu au Game Design intelligent, renouveler le genre du premier coup est assurément le travail d’une équipe talentueuse. Avec ICO et Mark of Kri, les studios internes à Sony prennent vraiment du galon, il était temps.

Yan Fanel